Voici donc ma nouvelle rubrique: "Coin lecture"!
Afin de partager avec vous mes lectures, peut-être de vous faire découvrir des livres et vous donner l'envie d'en "croquer" quelques-uns?!
Et surtout, si vous aussi les avez lus, le plaisir de pouvoir échanger sur ceux-ci, grâce à vos commentaires!
Laisser glisser le papier sous les doigts, humer son odeur, le garder serré contre son coeur avec le plaisir de le dévorer... Le livre! Etre accroché par un titre, une photo, dévorer son résumé... Le livre! Découvrir une bibliothèque, caresser les reliures, le feuilleter... Le livre! Le prendre pour le redéposer, le prendre pour l'emporter... Le livre!
“Hier, j’ai vu un de mes livres entre les mains d’une femme. Elle était assise dans le métro, ses doigts serraient les pages pour les immobiliser et les tournaient délicatement. J’ai compris hier que les livres ont un sort meilleur que ceux qui les écrivent. Gardés dans les bras, emportés en voyage, peut-être sur une île du Sud ou sous une tente en montagne, fixés avec intensité par deux yeux qui feraient aussitôt baisser les miens. Oui, les livres prennent du bon temps, bien plus que ceux qui les écrivent.
Je bénis mon sort d’écrivain de récits et non d’articles de journaux, car, près de la dame, j’ai vu un homme avec un quotidien. Il le tournait à coups secs, le lisait mécontent, puis il l’a replié et l’a fourré dans sa poche. Avant le soir, il l’aura expédié dans une corbeille à papier, au pilon. Quelle chance, en revanche, pour mes phrases dans les bras de la femme assise! J’ai eu envie aussitôt d’en écrire une pour l’ajouter au bout de son livre.
Les mots que j’ai écrits ne sont plus à moi, ils sont devenus les siens. Elle les a voulus, en pêchant justement ceux-là dans le grand bazar des livres. Elle les a payés avec de l’argent prélevé sur d’autres dépenses, en se passant d’une bouteille de vin, d’une séance de cinéma, d’un concert. Ils ont pour elle une valeur ajoutée, celle de remplacer des choses plus agréables qu’un livre. Et maintenant, ils sont là, sur ses genoux, feuilletés par une légère caresse, ses cheveux retombant dessus. Les pages ainsi prises et tenues sont les siennes, beaucoup plus qu’elles n’ont été les miennes.”
Erri de Luca, 13.01.2007, © Libération